Prochaine conférence le 16/06 à 18 h : "Les gens de savoir rennais au coeur des sources médiévales"
Le 02/06/2022 ActuRDV
Conférence - par Marjolaine Lémeillat
Les séries anciennes des Archives de Rennes sont riches de sources de diverses formes et aux sujets multiples, fertiles en (re)découvertes des Rennais, à la fin du Moyen Âge. Parmi eux : les gens de savoir rennais, justifiant à la fois d’études supérieures ou d’une formation approfondie sur le terrain, et de l’usage quotidien de leurs compétences dans un cadre professionnel (ici, au service d’une cité). Le dépouillement des fonds entrepris par Marjolaine Lémeillat aux Archives de Rennes permet de retracer leur existence et leur parcours, de mettre en évidence et analyser les rôles qu’ils ont joués au sein de la ville, voire à l’échelle de la Bretagne, les réussites que certains ont bâties et avec quels moyens. Les résultats de ce travail font l’objet de la présente conférence.
Docteure en histoire, Marjolaine Lémeillat est Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’université de Tours. Ses recherches et travaux portent sur les actes des ducs de Bretagne, sur la circulation et la transmission des savoirs et sur la prosopographie du clergé, du personnel administratif, des gens de justice, médecins et enseignants bretons à la fin du Moyen Âge (13e - début 16e siècles).
RDV le 16 juin 2022 à 18 h aux Archives de Rennes (18, avenue Jules-Ferry).
Entrée libre.
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Interview de Marjolaine Lémeillat (propos recueillis en juin 2022) :
Archives de Rennes : Qui sont les gens de savoir et pourquoi vous être intéressée spécialement à eux ?
Marjolaine Lémeillat : L'expression contemporaine de "gens de savoir" désigne les personnages qui, au-delà des seuls lettrés ou intellectuels, justifiaient à la fois d’études supérieures ou d’une formation approfondie sur le terrain, et de l’usage quotidien de leurs compétences dans leur cadre professionnel, notamment au sein de divers services (États ducal, royal, pontifical ; institutions religieuses ou judiciaires), qui se complexifient à la fin de la période médiévale. Concrètement, il s'agissait aussi bien de serviteurs de l’administration ducale (chanceliers, secrétaires, gardes du Trésor des Chartes), que de membres du clergé (et souvent du haut-clergé : évêques, chanoines, abbés), de membres du monde de la Justice (sénéchaux, procureurs, avocats...), de notaires, d'enseignants ou de médecins. Je me suis intéressée à eux sur proposition de ce sujet de thèse, que je leur ai consacrés, par Jean-Christophe Cassard, feu professeur d'histoire médiévale à l'Université de Bretagne occidentale. L'objectif de cette étude à la fois culturelle, religieuse, sociale, politique était de mettre en évidence le rôle joué par ces personnages au sein de la Bretagne ducale, aux derniers siècles du Moyen Âge, quand les archives sont suffisamment nombreuses pour que nous puissions nous livrer à une étude systématique, mais aussi quand l’État ducal se développe (quelle incidence ont alors ces gens de savoir ?).
AR : La plongée dans les archives anciennes, entre déchiffrage, dépouillement et compréhension, pas trop compliqué ?
ML : Déchiffrer, transcrire et comprendre les divers actes mis au jour n'étaient généralement pas un problème, dans la mesure où j'avais déjà de l'expérience en la matière. Néanmoins, quelques textes ont pu s'avérer ardus, surtout en fonction de la qualité de l'écriture du rédacteur et de la période de rédaction (le début du XVIe siècle est souvent délicat, dans ce domaine). Seuls les dépouillements se sont avérés longs, requérant l'équivalent de plusieurs mois pour les fonds les plus riches (Penthièvre aux Archives départementales des Côtes d'Armor, fonds religieux aux Archives départementales de Loire-Atlantique, par exemple). Les Archives départementales d'Ille-et-Vilaine ou les Archives municipales de Rennes, en revanche, ont fait l'objet d'un traitement plus rapide, car les archives anciennes étaient ou moins nombreuses que dans d'autres centres de conservation, ou aisées à cibler, grâce à des catalogues précis (l'absence de catalogues rallonge les investigations : cela oblige à tout ouvrir, faute de savoir quel carton précis explorer).
AR : Quel est le rôle des gens de savoir dans ce territoire encore indépendant du royaume de France ?
ML : Après étude, il s'est avéré que les gens de savoir remplissaient, tout d'abord, la ou les fonctions qu'ils occupaient durant leur existence. Cela peut sembler un truisme, mais leur analyse a permis de mettre en exergue l'existence d'un réseau de formation local (écoles primaires, mais aussi supérieures, notariales...) parfois assez dense et dynamique, dans un duché sans université avant 1460 (et même alors, Nantes reste en retrait par rapport à des centres plus anciens) ; mais aussi le maillage des réseaux administratifs centraux et locaux, judiciaires, médicaux... Les gens de savoir œuvrent à des strates et dans des domaines très divers. En outre, certains sont d'autant plus actifs qu'ils exercent une ou plusieurs carrières, soit que leur vie professionnelle évolue, soit qu'ils cumulent (c'est le cas de plusieurs grands serviteurs ducaux, à la fois évêque, chancelier et ambassadeur ; ou médecin, conseiller et chanoine). Ceux qui s'activent au plus près du pouvoir ducal ont enfin un rôle parfois notable dans l'affirmation du pouvoir ducal vis-à-vis du royaume de France au XVe siècle (mise au point et défense des "droits royaux et duchaux" d'un duc censé descendre de souverains antérieurs aux rois de France).
AR : Quels types de documents vous ont permis de dresser des notices biographiques de ces personnes ? à quel degré de finition ?
ML : Je me suis appuyée sur tous les documents que j'ai pu trouver et lire (en fonction de leur état). En effet, les notices biographiques de gens de savoir sont une somme de détails que nous sommes susceptibles de trouver dans n'importe quel texte. Par exemple, la mention de la famille, de parents, de possessions personnelles peut se trouver aussi bien dans des transactions diverses, des procès que dans un recensement de biens ; l'attestation des études peut figurer dans la titulature d'un personnage (quand il souhaite rappeler qu'il est bachelier ou licencié ou docteur dans telle(s) discipline(s)), mais aussi dans des sources universitaires ou pontificales (quand le personnage, à l'époque de ses études, a sollicité un revenu de la part de la papauté). Les fonds ducaux, royaux français et étrangers (notamment anglais), pontificaux ou religieux locaux renseignent sur les éventuelles fonctions religieuses ; les actes ducaux, en particulier, sur les fonctions exactes remplies auprès du duc, sur certaines missions assumées (ambassades), sur les gages rétribués... Au-delà des sources scripturaires, les monuments, sceaux... donnent aussi de précieuses indications sur tel ou tel (entre autres, leur potentiel mécénat). Bref : tout est utile. Cela a abouti à une récolte de 5 599 noms de gens de savoir, connus à des degrés divers : cela va du simple patronyme avec date d'attestation (soit une ligne) à la biographie de plusieurs pages.