De nombreux de soldats allemands, équipés d'un appareil photo Kodak, ont couvert la Seconde Guerre mondiale, dans le but de montrer au peuple allemand "l'œuvre civilisatrice" du IIIe Reich. Cet ensemble documentaire est composé de 362 documents, des tirages photographiques pour l'essentiel. Ces vues ont été prises entre le 10 mai 1940, date du début de l'offensive allemande, et le 4 août 1944, date de la libération de Rennes. Elles nous offrent le regard allemand sur la période de l'Occupation à Rennes. Elles témoignent de l'avancée des soldats Allemands sur le sol français, de l'exode des Français face à cette avancée-éclair et du terrible bombardement à la plaine de Baud qui précède d'un jour leur arrivée à Rennes.
Une fois installés dans la ville le 18 juin 1940, les militaires allemands photographient leur vie quotidienne en pays occupé, entre leurs activités quotidiennes de surveillance du territoire et des camps de prisonniers, et leurs temps de repos.
Les albums constitués par des soldats allemands suivent leur parcours en France et contiennent les clichés des lieux où ils ont stationné entre 1940 et 1945. Les photographies sont développées quand l'occasion s'en présente. S'il est peu aisé ou même impossible de suivre le fil conducteur de ces albums, ou encore de savoir qui est le soldat auteur des photographies qui les composent, dans un cas, des photographies ont pu être associées à une personne : le capitaine (Hauptmann) Evers. Les vues qui le montrent peuvent être rattachées à deux albums : celui qu'il a constitué et celui d'un des hommes de sa compagnie. Des éléments de contexte fournis par Christian Le Corre (planches d'album et photographies conservées par lui) ont permis de différencier ces deux ensembles de clichés.
Avancée des Allemands : prisonniers de guerre et exode des Français
Après la Drôle de Guerre, Hitler lance l'offensive vers la France le 10 mai 1940. Dans leur progression, les Allemands font des prisonniers et croisent des civils sur la route de l'exode. Ils arrivent à Rennes le 18 juin 1940.
Avancée des Allemands
En mai-juin 1940, l'armée allemande mène l'invasion foudroyante des Pays-Bas, du Luxembourg, de la Belgique et de la France. Certaines photographies en témoignent : des légendes mentionnent la Belgique et la Somme, d'autres indiquent "Vormarsch" (avancée, offensive), d'autres encore sont muettes sur le lieu mais sont datées de mai-juin 1940.Le transport des troupes peut se faire en train, sur une partie du trajet au moins. La majorité de la Wehrmacht avance à pied, à bicyclette, en véhicules légers et lourds. Le matériel est transporté dans des charrettes et des camions. Ambulances et ambulanciers font partie des convois. Les troupes marquent des temps de repos dans les fossés dans ces mois chauds de mai et de juin 1940.
Prise de prisonniers français métropolitains et coloniaux
La Wehrmacht fait des prisonniers en masse sur les routes de la retraite. Sur les photographies, ceux-ci apparaissent tantôt en colonne, près des Allemands, tantôt au repos dans des champs. Rares sont les indications de lieux : notons la ville de Kemmel, en Belgique, ainsi qu'une commune de la Somme, Ailly-sur Somme. S'agissant des soldats coloniaux, la Wehrmacht multiplie les exécutions afin d'éviter de faire des prisonniers indigènes. Sur la Somme, 600 tirailleurs du 44 régiment d'infanterie coloniale sont passés par les armes. On évalue à 3000 le nombre d'hommes exécutés au mépris des lois militaires. Les Allemands prétendent venger l'occupation de la Rhénanie par les troupes coloniales après les traités de 1919 : ils veulent effacer ce qu'ils appellent la "honte noire".
Exode des civils
L'invasion de l'armée allemande pousse de nombreux civils à fuir, les jetant sur les routes. Ils sont 2 millions en France. Les soldats allemands croisent des Français sur le chemin de l'exode. Parfois, ils constatent le résultat du passage des Sturzkampfflugzeuge (abrégés en Stukas) ou bombardiers en piqué : des scènes figées de chevaux morts et de valises ouvertes au contenu répandu sur la route.
Arrivée des Allemands à Rennes
Le cliché coté 350 Fi 3399 constitue un témoignage exceptionnel de l'arrivée des Allemands à Rennes le 18 juin 1940. Très tôt le matin, les chars entrent dans la ville par la rue de Fougères. Ils descendent les rues du centre et passent la Vilaine au pont de Nemours : le soldat du char se tient debout dans la tourelle. Les chars ne font que traverser Rennes et se dirigent vers Brest. Aucune unité de chars n'a stationné à Rennes durant la guerre. Vers 10 heures, une colonne arrive par la route de Paris. Au carrefour avec le boulevard de Metz, une partie de la colonne poursuit sur la route de Paris et l'autre partie descend le boulevard de Strasbourg vers les quais.
Bombardements de juin 1940
Deux bombardements allemands marquent le début de la guerre : à la gare de triage de Plaine-de-Baud le 17 juin 1940 et à l'aérodrome de Saint-Jacques-de-la-Lande le 19 juin 1940. Ils ont lieu la veille et le lendemain de l'arrivée des Allemands à Rennes.
Bombardement à la Plaine-de-Baud le 17 juin 1940
Le 17 juin 1940, jour où le maréchal Pétain ordonne l'arrêt des combats, ce bombardement marque l'entrée en guerre de Rennes de façon brutale et tragique. Trois avions (c'est le chiffre cité dans la plupart des témoignages) survolent la gare de triage plaine de Baud puis les voies ferrées de Saint-Hélier. En chacun de ces deux endroits, stationne un train de munitions chargé d'explosifs. Dans la plaine de Baud, plus d'une quinzaine de trains est stationnée, dont un train d'artillerie placé entre les trains de réfugiés venus du nord, de soldats français de retour d'Angleterre (qui avaient été embarqués en Angleterre lors de l'évasion de Dunkerque) et de soldats britanniques. Les bombes larguées sur ces trains chargés d'explosifs provoquent des explosions durant 24 heures : les effets sont dévastateurs. Le nombre de morts est estimé à environ un millier (805 corps inhumés et d'autres disparus ou dispersés). Le souffle des explosions projette des wagons jusqu'à 100 mètres des rails ; la plupart des voies de la gare de triage sont détruites. Ce bombardement a pour conséquence de faire fuir une partie des Rennais vers l'ouest et le sud.
Bombardement à Saint-Jacques-de-la-Lande le 19 juin 1940
Un autre bombardement allemand survient à l'aéroport de Saint-Jacques-de-la-Lande le 19 juin 1940, alors que Rennes est déjà occupée – information qui de toute évidence n'a pas été transmise à l'armée de l'air allemande. Cet aérodrome sert alors de base aérienne à l'armée ; il est également utilisé par les avions anglais et des aviateurs polonais, qui s'y sont réfugiés et y donnent des cours de pilotage. En arrivant le 18 juin, les Allemands trouvent 30 appareils intacts. Les bombes larguées le lendemain par des Messerschmitt BF 110 endommagent cinq appareils.
Prisonniers français à Rennes
Les Allemands arrivent à Rennes avec des prisonniers et ils font des prisonniers sur place. Après une période de transit (juin-novembre 1940), les prisonniers métropolitains sont envoyés en Allemagne tandis que les prisonniers coloniaux sont regroupés dans des camps à Rennes et aux alentours.
Prisonniers métropolitains et coloniaux en transit à l'été 1940
Le 18 juin 1940, les Allemands entrent à Rennes accompagnés des prisonniers qu'ils ont faits lors de leur avancée, comme l'illustre probablement le cliché, coté 350 Fi 3400_1. Suite au bombardement du 17 juin, certains soldats qui cantonnent à Rennes laissent leurs armes et vont grossir les colonnes de civils qui fuient vers l'ouest et vers le sud, mais la plupart sont rattrapés par les Allemands. Quand les troupes allemandes entrent dans Rennes, elles ne rencontrent aucune formation militaire organisée. Le 18 juin, à 17 heures, la caserne du Colombier est occupée ; les officiers d’active et de réserve qui y sont restés sont faits prisonniers. Rejoints par des officiers de l’extérieur et des soldats, près d’un millier de militaires français y est assemblé au bout de quelques jours. Au total, ce sont près de 30 000 prisonniers de guerre français métropolitains qui attendent à Rennes leur départ pour l'Allemagne, effectif en novembre pour la quasi-totalité d'entre eux, tandis que les soldats coloniaux sont confinés dans plusieurs casernes.
Camps de prisonniers
Rennes est un élément majeur du dispositif des camps de prisonniers de l'armée allemande, les Frontstalag. Le Fronstalag 133 de Rennes est placé sous l'autorité de l'occupant allemand de septembre 1940 à août 1944. Il se compose de plusieurs casernes ou camps de la ville. Le parc des sports de la route de Lorient est transformé en prison ; le camp de la Marne sur la route de Redon a une capacité de 1 700 prisonniers ; le camp Margueritte, en bordure de la caserne du même nom, abrite 2 000 prisonniers dans une quinzaine de baraques. On compte aussi le camp situé sur le boulevard de Guines, l'annexe de la prison Jacques-Cartier, ou encore le Lazaret (l'école primaire supérieure, aujourd'hui lycée Jean-Macé) servant d'hôpital de fortune. Après la dissolution du camp de Quimper en 1942, il ne restait plus que le Frontstalag 133 de Rennes auquel était rattachés de nombreux camps de toute la Bretagne.
Vie des prisonniers coloniaux
12 000 prisonniers coloniaux ont probablement séjourné à Rennes pendant la guerre, dont 6 000 sont présents simultanément dans la ville. Ce nombre important s'explique notamment par la suppression de l'internement des soldats coloniaux en Allemagne, du fait de l'idéologie du régime nazi. La légende d'un portrait ne laisse aucun doute à ce propos (cliché 350 Fi 3397). Les conditions de vie des prisonniers coloniaux sont rudes : ils n'ont pratiquement rien à manger ; de nombreux colis acheminés par la Croix-Rouge sont volés par leurs gardiens qui revendent leur contenu. Des assistantes du devoir national sont autorisées à leur venir en aide. Certains prisonniers ont l'occasion de travailler dans des fermes aux environs de Rennes (notamment à Betton et à Bruz), dans lesquelles ils peuvent loger. À partir de 1943, les camps de prisonniers sont gardés par des soldats français, les Allemands souhaitant envoyer un maximum de soldats vers le front de l'est.
Armée allemande pendant l'Occupation
Les Allemands s'installent le 18 juin 1940 à Rennes pour quatre années d'occupation, jusqu'à sa libération le 4 août 1944. L'administration et les armées allemandes occupent de nombreux bâtiments militaires et civils. La présence allemande est forte : Rennes est bien une ville occupée.
Militaires en service
La Wehrmacht occupe presque toutes les casernes. L'état-major de la Luftwaffe s'installe dans la villa Bolleli, rue Saint-Martin, et la Kriegsmarine au 16 rue Legraverend.
Rennes comporte deux éléments stratégiques importants : une gare, qui permet le transport de troupes et de matériel, ainsi que l'aérodrome de Saint-Jacques-de-la-Lande, qui sert de base aux bombardements de l'Angleterre. La protection antiaérienne de l'aérodrome joue un rôle prédominant dans le dispositif de surveillance.
Quand cela a été possible, les unités et les grades des militaires allemands ont été identifiés, qu'il s'agisse de la Wehrmacht (Armée de terre) ou de la Luftwaffe (Armée de l'air). Les militaires de cette dernière sont reconnaissables à leur insigne de grade en forme de mouette. Plus précisément, des insignes sont des indices probables permettant d'identifier le personnel navigant (pattes de col jaune or), les transmissions (pattes de col brunes), ou le contrôle aérien (pattes de col vert clair).
Un militaire a pu être identifié : le capitaine Evers. Sont présents dans cette collection un extrait de son album ainsi que l'extrait d'un album d'un de ses hommes : une photographie sélectionnée le représente avec une partie de sa compagnie. Parmi d'autres, deux photographies représentent des moments de l'Occupation : une fanfare militaire, qui doit pour les Allemands favoriser la bonne perception de l'occupant par la population, et une inhumation d'un soldat allemand au cimetière de l'est.
Militaires au repos
Durant leurs temps de repos, les militaires allemands s'occupent d'intendance et se divertissent. Certains sont logés à la campagne, aux environs de Rennes ("bei Rennes"), d'autres, en ville chez l'habitant. Bon nombre d’hôtels particuliers sont réquisitionnés pour les officiers. Plusieurs photographies témoignent des moments de divertissement des militaires allemands, quel que soit leur grade.
Relations avec la population française
Les militaires allemands ont été au contact de la population en service, notamment à la campagne. Quelques scènes de la vie quotidienne les montrent avec des vendeuses de dentelles ou avec des enfants.
Vues de Rennes
Les Allemands, lors de leur temps de repos, visitent Rennes "en touristes". Ils immortalisent quelques monuments et vues emblématiques de la ville. Certains éléments sont caractéristiques de cette période, telles les affiches incitant à la souscription de bons d'armement, ou les huttes Nissen, conçues par l'ingénieur anglais Peter Norman Nissen (1871-1930) durant la Première Guerre mondiale. Le monument élevé pour les soldats allemands de la Première Guerre mondiale au cimetière de l'est retient leur attention.